
Sports extrêmes, sportifs de l'extrême : La Quête des Limites
Bertrand Piccard, 2002
Bertrand Piccard est un psychiatre et aéronaute suisse, connu notamment pour avoir effectué le premier tour du monde en ballon sans escale, Il est le fils de l'océanographe Jacques Piccard et petit-fils du physicien Auguste Piccard.
Il adopte en écrivant cet article un point de vue un peu plus subjectif que d'autres analystes pourraient avoir, du fait de son expérience dans le parachutisme.
Cet article justement, propose une nouvelle analyse de l'engagement corporel dans les sports de gravité : c'est une approche assez philosophique, très intéressante, et qui va également dans le sens des propos de Tancrède Melet (Voir onglet « Vision intérieure »).
Bertrand Piccard écrit au début de son article que les sports extrêmes sont souvent jugés négativement dans le milieu de la sociologie, comme des pratiques pas saines, et se propose d'expliquer ces points de vue.
Pour cela, il avance tout d'abord les différentes analyses classiques, traditionnelles du sport extrême : celui-ci serait comme une drogue (il l'est d'ailleurs un peu, par la sécrétion d'hormones telles que l'adrénaline ou l'endorphine), dont on voudrait toujours plus jusqu'à l'overdose, ici jusqu'à l'accident. Le risque serait donc un besoin vital.
Il peut également être interprété comme un combat contre son équilibre intérieur matérialisé comme un combat contre l'environnement, une confrontation avec le danger : « défier les lois naturelles plutôt que forces de l'ordre ou la société », pour se sentir exister.
D'autres mettent en avant des motivations sociales ou financières, traditions de famille comme les plongeurs de l'Acapulco ou les chasseurs de nids d'hirondelles thaïs, qui deviennent de véritables attractions touristiques.
Enfin, on a ce véritable tremplin des médias (et d'internet) qui permet à des individus lambda de devenir des légendes en mettant leur vie en jeu.
Selon l'auteur, ces analyses sont « séduisantes, mais pas suffisantes ».
Lui est par exemple plus séduit par la comparaison des sports extrêmes du Docteur Le Breton avec la pratique moyenâgeuse de l'Ordalie (pratique utilisée par la justice qui faisait passer des épreuves dont il était quasiment impossible de ressortir vivant aux présumés coupables, dont l'innocence était prouvée par la survie) ; si les sportifs d'aujourd'hui réchappent à la mort dans leur pratique, alors leur vie vaut la peine d'être vécue.
Bertrand Piccard illustre cette analyse d'un témoignage de son vécu de sportif de l'extrême : « J'ai eu l'occasion d'assister à l’atterrissage d'un parapentiste dans des conditions météorologiques exécrables et d'entendre ce dernier déclarer que son vol avait été superbe car il avait failli se tuer plusieurs fois ».
Cette analyse plaît bien à notre psychanalyste bien qu'il trouve qu'elle soit un peu trop généralisée.
C'est après ces analyses d'autres sociologues que l'auteur s'attaque à l'explication de la sienne, qui donne une belle place à la facette philosophique de l'engagement corporel.
C'est d'ailleurs par une approche philosophique qu'il entame son analyse : il trouve celle-ci souvent trop négligée par les analystes ne s'attardant que sur le côté psychologique de la chose. De plus, l'auteur bénéficie d'une certaine subjectivité grâce à son expérience de parachutiste. Selon lui, « Le plus grand risque n'est pas dans l'existence de se lancer dans des sports extrêmes, mais bel et bien d'accepter la vie comme elle est, en fonctionnant comme nous l'avons toujours appris et en continuant à dormir dans les habitudes et les certitudes que nous appelons conscience humaine ».
Cette phrase introduit bien sa pensée qu'il développe en suivant, critique de notre société de plus en plus intellectualisée. Nous sommes selon lui dans l'ère du Règne de la pensée, coupant le vécu de l'instant présent, donnant beaucoup d'importance au mental, aux pensées, au passé et à l'avenir, mais pas de place pour la sensation d'être vivant, dans l'instant même. Il n'est donc pas possible de se concentrer sur nous même si notre esprit est sans arrêt dispersé. La technologie nous permet de nous connecter à tous les habitants du monde nous faisant ainsi oublier de nous concentrer sur nous-même. Comme le dit l'auteur lui-même : « Depuis que la pensée a pris le pouvoir, nous en sommes devenus des esclaves. ». Cette quête de maîtrise et du contrôle ferait de nous des prisonniers de notre mental : « Nous blâmons la vie plutôt que de débrancher l'ordinateur. »
Dans cette société gouvernée par la pensée, c'est la découverte de la pratique du sport extrême qui a permis à l'auteur de s' « éveiller ». Cet éveil à soi-même est identifié comme une découverte par le sport extrême, s'étant propagé dans la vie en général. Ce saut dans l'inconnu, c'est le cas de le dire, est la constante du sport extrême. L'auteur évoque le souvenir de son premier saut à l'élastique, où il a retrouvé « symbole même de la vie », se trouvant devant une décision à prendre quant à sauter dans le vide ou non : il décrit la sensation alors éprouvée comme un mélange de peur et de confiance, d'un côté prudent d'un côté curieux, où il était fasciné par ce qu'il se passait en lui. La pratique du sport extrême engage alors la nécessité d'être totalement éveillé, en relation avec la totalité de son potentiel devant le risque qui s'expose à soi. Bertrand Piccard souligne l'importance de la CONSCIENCE plus encore que de la concentration. Dans le feu de l'action, le corps prend le dessus sur l'intellect. « Plus tard, il restera le souvenir d'un instant de grâce, qui semble avoir duré une éternité, tant il était plus riche, plus dense, que n'importe quel moment de la vie ordinaire. ».
« Je ressens donc je suis » : c'est l'alternative que propose le psychanalyste à la célèbre phrase de Descartes (« Je pense donc je suis »), car, dans notre société aseptisée en émotions et sans véritable responsabilité individuelle, il y a juste assez d'impressions pour nourrir la routine et non la conscience. « Je pense donc je suis » devient « Je ressens donc je suis », car lorsque je pense, je ne peux pas être. C'est dans cette nouvelle Conscience de Soi que le sportif de l'extrême trouve force, performance et plaisir.
A partir de là, l'ancien parachutiste évoque plusieurs voies possibles : grisé par la sensation qu'il vient de découvrir, le nouveau sportif veut coûte que coûte revivre ce moment, à la recherche d'un paradis perdu. Autrement dit ; « la confrontation au risque continue à être recherchée, non comme un but en soi, mais comme un moyen d'atteindre ce nouvel état auquel nous avons goûté ».
Cela reste le plus souvent inconscient mais peut devenir démarche consciente vers une voie spirituelle, une voie de l'éveil à travers le risque. Enfin, c'est aussi un moyen parmi d'autres, de déroutiniser sa vie, avec un réel passage à l'acte ; mais cela implique de prendre le risque de changer le personnage artificiellement construit pour tenir debout dans la vie.
Enfin, Bertrand Piccard finit son article par l'apport presque spirituel du sport extrême dans sa vie : il existe un état de conscience que nous fait découvrir le sport extrême, en agissant vraiment et non par une simple aspiration philosophique. Ce potentiel sommeille en nous, lui l'a réveillé par le sport extrême. Et à bien y réfléchir, où est réellement le danger, n'est-il pas dans la vie elle-même ?
En conclusion : le sport extrême est une école de vie, mais à condition d'en sortir assez tôt !
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